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Fallait-il fermer la centrale nucléaire de Fessenheim ?

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim avait été un des enjeux de l’élection présidentielle de 2012. En accédant à la demande d’Eva Joly, François Hollande s’assurait le soutien des écologistes. Cinq ans déjà ! Cinq ans de gagnés pour la production d’électricité et l’amortissement des investissements. Mais le président de la république se devait de tenir sa promesse. Et la fermeture a été actée le 24 janvier 2017 par le conseil d’administration d’EDF, de justesse, grâce à la voix prépondérante de son PDG, Jean-Bernard Lévy (nommé par le pouvoir). Le comité central d’entreprise, constitué des syndicats “CGT, CFE-CGC, FCE-CFDT et FO Énergie et Mines” avait quelques jours auparavant rendu un avis négatif.

La centrale nucléaire de Fessenheim a été mise en service en 1978, c’est la première centrale équipée de réacteurs 900 MW à eau pressurisée construits selon la technologie brevetée par Westinghouse (USA).

J’ai visité l’intérieur du réacteur de la tranche n°1 lors de la deuxième visite décennale, c’était en 1999, à l’époque où je travaillais à la Division Ouvrages et Matériels de l’ex DEPT et où je participais à la rédaction de la partie Génie Civil du Programme de Base de Maintenance Préventive (PBMP), qui spécifie tous les points à observer et les mesures à effectuer lors des visites de contrôle des installations, je me souviens d’avoir été impressionné par le bon état de surface des matériels et par la propreté des lieux.

Le CEA et EDF développaient depuis les années 1950 la filière “uranium naturel graphite gaz” (UNGG), qui avait la faveur du Général de Gaulle. Une technologie coûteuse et difficile à maîtriser, aussi peu après l’accident du 17 octobre 1969, où 50 kg de dioxyde d’uranium sont entrés en fusion au cœur du réacteur nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux, le président Georges Pompidou opte définitivement pour la filière américaine.

Au total 34 réacteurs du palier 900 MW seront mis en service de 1978 à 1988.

Les trente glorieuses venaient de s’achever, mais pas pour EDF dont la production d’énergie doublait tous les 10 ans de 1945 à 1985, cf article du 10 mai 2015.

Dans cette logique de croissance exponentielle, la puissance des tranches de production double à chaque palier :
– pas de palier spécifique jusqu’en 1955, mais puissance < 60 MW
– palier 125 MW en 1955 :  Porcheville A (charbon)
– palier 250 MW en 1962 : Vaires-sur-Marne (charbon)
– palier 600 MW en 1968 : Porcheville B (fuel lourd)
– palier 900 MW en 1978 : Fessenheim (uranium enrichi)
– palier 1300 MW en 1985 : Paluel (uranium enrichi)
– palier 1500 MW en 2000 : Chooz (uranium enrichi)

Ainsi, vu de 1978, lors de la mise en service de Fessenheim, avec un scénario de doublement de la puissance des tranches tous les 10 ans, on aurait pu s’attendre à ce que les réacteurs de 2018  atteignent des puissances unitaires de l’ordre de 15 000 MW (900 x 2 X 2 X 2 x 2 = 14 400 MW) et qu’en 2018 donc, les deux tranches de 900 MW de Fessenheim seraient sous-dimensionnées. C’est une des raisons pour lesquelles l’étude initiale de réalisation de la centrale de Fessenheim annonçait une durée d’exploitation en sûreté de 40 ans. La durée d’exploitation reposait plus sur l’amortissement des investissements et sur l’obsolescence attendue que sur un vieillissement des installations préjudiciable à la sûreté.

[peekaboo name= »dureeexploitation » onshow= »Masquer la suite » onhide= »En savoir plus sur les durées d’exploitation »][peekaboo_content name= »dureeexploitation »]

En matière de réglementation, les durées d’exploitation des centrales varient selon les pays.
Ainsi, aux Etats-Unis, la durée prévue d’exploitation de chaque centrale nucléaire a été fixée dès l’origine à 40 ans. Cependant, ces dernières années, plusieurs centrales ont vu leur autorisation de fonctionnement prolongée à 60 ans.
L’approche française est différente : chaque centrale reçoit une autorisation de fonctionnement pour 10 ans. A l’issue de ces 10 années, une visite décennale est organisée pour effectuer des contrôles et confirmer le niveau de sûreté de l’installation. Si tous les contrôles sont satisfaisants, une nouvelle autorisation de fonctionnement est donnée pour une période de 10 ans.

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Mais la consommation d’électricité cesse de croître de façon exponentielle aux environs de 1990 pour décroître légèrement à partir de 2005. Et la puissance des tranches nucléaires des années 1970 reste bien supérieure aux autres moyens de production d’électricité de notre pays (hydraulique, thermique à flamme, éolien, solaire).

D’où l’idée de prolonger la durée d’exploitation des centrales nucléaires jusqu’à 60 ans. En procédant au remplacement des pièces usées et en mettant les installation à niveau compte tenu des exigences de sécurité issues des incidents et accidents survenus sur les réacteurs du même palier.

Ainsi, pour tenir compte du risque de fusion du coeur (Three Mile Island et Fukushima), EDF a augmenté l’épaisseur et la surface de la « zone d’étalement du corium » (2013) et a installé dans le puits de cuve des moyens redondants permettant de détecter le percement de la cuve, dans l’enceinte des moyens redondants permettant de détecter la présence d’hydrogène, et en salle de commande une instrumentation permettant de signaler le percement de la cuve par le corium (2016).

Ainsi modernisée, la centrale aurait pu rester en exploitation jusqu’à l’âge de ses soixante ans, en 2038. Avec un coût de production très bas car la centrale est amortie.

Les arguments de ceux qui veulent fermer Fessenheim sont :
1) la centrale est trop vieille
2) la centrale est située en zone sismique

1) Le plus vieux réacteur à eau pressurisée en service dans le monde est Beznau 1 (Suisse) : 365 MW, mis en service en 1969, initialement prévu pour 40 ans (2009). La première centrale du palier 900 MW est celle d’Oconee (photo), en Caroline du Sud, dont la première tranche a été mise en service le 15 juillet 1973, soit 5 ans avant Fessenheim et dont l’autorisation d’exploitation a été prolongée jusqu’en 2033. La tranche 1 de Three Mile Island, mise en service le 2 septembre 1974, a été prolongée jusqu’en 2034. On ne peut plus affirmer que la centrale de Fessenheim est trop vieille !

2) Fessenheim a été dimensionné pour résister à un séisme de magnitude 6,7 juste sous elle. Ce chiffre a été obtenu en ajoutant un demi-point de magnitude au séisme le plus violent de la région, celui de Bâle qui a eu lieu en 1356 et qui était d’une magnitude estimée de 6,2. A noter que le plus fort séisme recensé en France au cours du 20ème siècle est celui de Lambesc, en 1909, d’une magnitude de 6,2. Les opposants à la centrale objectent que l’intensité du séisme de Bâle a pu être sous-évaluée. Fessenheim n’est pas la seule centrale à être située dans une zone sismique, c’est aussi le cas du Bugey et de Cruas.

La décision de fermer Fessenheim, comme je l’indiquais au début, est donc politique et pas technique.

L’accord conclu entre EDF et l’Etat, prévoyant une indemnisation de 490 millions d’euros en contre partie de la fermeture anticipée, m’avait paru de prime abord préjudiciable à l’électricien.

Mais en regardant de près, l’accord prévoit outre le versement des 490 millions :
– une part variable tenant compte d’un éventuel manque à gagner pour EDF jusqu’en 2041,
– une extension du délai de l’autorisation de création de l’EPR en construction à Flamanville, qui arrive à échéance en avril prochain, alors que le réacteur n’entrera pas en service avant la fin 2018 du fait des retards sur le chantier,
– l’assurance de pouvoir redémarrer le réacteur n°2 de la centrale de Paluel (Seine-Maritime), à l’arrêt depuis mai 2015 alors que la loi de transition énergétique prévoit qu’un réacteur à l’arrêt depuis plus de deux ans soit considéré comme en arrêt « définitif ».

Au final c’est un bon accord, pour le chef de l’Etat qui respecte sa promesse et pour EDF, qui obtient satisfaction sur Flamanville, Paluel et sur une indemnisation qui laisse la porte ouverte à des versements futurs… Qui plus est, la fermeture ne sera pas immédiate, il est question d’attendre la mise en service de Flamanville 3, en 2018, si tout va bien… ou plus tard si le nouveau gouvernement décide de prolonger la durée d’exploitation de quelques années…

Si je suis favorable à la poursuite d’exploitation de Fessenheim, je suis en revanche réticent à la construction de nouvelles centrales nucléaires de la filière EPR (Flamanville 3), une filière trop chère et trop compliquée. C’est malheureux à dire pour l’ingénierie française, mais autant les centrales PWR 900 MW (palier CPy) sous brevet Westinghouse (les plans des centrales françaises sont des copier-coller des plans des centrales américaines conçus par Westinghouse) ont donné entière satisfaction, autant les paliers qui ont suivi, développés par Framatome en collaboration avec Westinghouse ont posé des problèmes depuis le début, notamment en raison de la perméabilité de l’enceinte interne des bâtiments réacteur des P4 et N4 qui ne disposent pas d’une peau d’étanchéité en acier comme les CPy. Quand à l’EPR, ce n’est qu’une extrapolation des paliers précédents auxquels on a ajouté toute une série de dispositifs issus du retour d’expérience des accidents nucléaires de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, ce qui en a fait une « usine à gaz ». Un réacteur d’une conception nouvelle, comme l’AP1000 de Westinghouse (qui fait appel à des dispositifs de sécurité actifs) aura beaucoup plus de chance de s’imposer que l’EPR, et le projet de construction par EDF de deux réacteurs nucléaires EPR à Hinkley Point, dans le Somerset anglais est une opération à haut risque pour l’électricien français et par voie de conséquence pour ses actionnaires et ses clients;

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