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Revue Bateaux de Juin 2015

Les pages 30 à 41 de la revue Bateaux de juin 2015 sont consacrées à Saint-Quay :

BateauxJuin2015

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Texte de l’article :

Soudain un grand projecteur perce les cumulo-nimbus et, tel un bijou, Binic luit à la côte sous une “pluie” de lumière comme la Bretagne Nord en a le secret.

L’étrave du Multi 50 blanc et bleu outremer de Pascal Quintin fume. A 15 nœuds, le tri fuit un grain anthracite qui rehausse le jade des eaux de la baie de Saint-Brieuc comme le mascara souligne le regard des filles. Ou comme un clin d’œil à Eugène Rimmel, inventeur du maquillage éponyme, aux peintres Boudin, Signac ou Berthe Morisot qui, un jour, ont trempé leur inspiration dans la palette marine du Goëlo. Le trimaran Open de 15 m porte les couleurs de Sensationnautique.com: une nouvelle« école de croisière» sous l’égide de la FFV. Bréhat, les Anglos, la Cornouailles, des sorties ou des stages à prix “étudiés”, destinés à tous les publics, c’est ce que propose Sensation Nautique, sur quatre supports au choix : outre le trimaran, deux monocoques de 20 m (l’un tout confort, l’autre typé course) et le vieux gréement municipal, un rare langoustier à cul carré, le Saint­Quay. Une école de plus? Pas exactement. Derrière Sensation nautique, on trouve une ambition plus large exprimée par les élus locaux : “réinitialiser” le logiciel maritime de Saint-Quay», rien que ça. On vous explique toute l’histoire.

La mer et le nautisme comme projet de territoire

A l’horizon 2017-2020, le BGV ou Breizh à grande vitesse, doit mettre Paris à 2h 15 de Saint-Brieuc. Un parc éolien d’une soixantaine de ventilateurs géants (180 m de diamètre, 8 mégawatts chaque) doit turbiner à neuf milles au large, vers le Grand Léjon. A la clé 140 emplois directs. Ce n’est pas rien pour une commune de 3 052 habitants (hors saison) au dernier recensement. Thierry Simelière, le nouveau maire et son équipage inscrivent à leur programme un projet de territoire axé sur l’identité maritime de Saint-Quay : son vieux port à échouage et son phare Eiffel, les Terre-Neuvas, la fête de la coquille Saint-Jacques bien sûr Mais pas seulement. Pour se projeter dans le XXIe siècle, il est aussi question de l’antenne marine d’un laboratoire parisien de biotechnologie (La Paillasse) et, pourquoi pas, d’une écloserie de start-up. Dans le package, la plaisance a sa place. Mieux. “On veut la remettre à l’honneur; se réaffirmer toujours plus une référence de la voile habitable : le nautisme est l’un de nos plus forts atouts touristiques et un atout tout court”, proclame le maire qui compte plus d’un pratiquant autour de lui, à l’image de Sophie Lathuillière navigatrice en charge du patrimoine, ou Erwan Barbey-Chariou, photographe de mer et “auteur de vue” (comprendre spécialiste du drone), à la communication.

Côté équipement, Saint-Quay dispose d’un port en eau profonde 1 030 postes et 100 places visiteurs accessibles 7 jours sur 7, à toute heure, sans seuil ni écluse, qu’importe la marée. C’est un atout fort dans un secteur où le marnage atteint 12 m. Même si Port d’Armor, son nom, a perdu son monopole, depuis 2009 avec l’inauguration de Saint-Cast, il fait largement le plein depuis 15 ans, effaçant le souvenir de débuts difficiles. “Nous comptons aujourd’hui 450 inscrits sur une liste d’attente, fiable et payante”, précise son directeur Jean-Michel Gaigné (voir interview). Ce port 5 étoiles ou plutôt 5 ancres d’or, battant pavillon bleu, a sa vie et ses figures. Tout le monde connaît Yannick Dupetit, codirigeant du chantier naval Cras, et cousin de l’architecte Pascal Conq. En tant que skipper, Yannick a emporté le Tour de France à la Voile sous les couleurs des Côtes-du-Nord. C’était en 1985… Les ·motifs de sortie, les destinations abondent. Depuis le plateau rocheux de Saint­Quay (un mille) pris d’assaut par vives eaux jusqu’à Plymouth (115) en passant par Bréhat (12)idéale pour la journée, Chausey (32), Jersey (40), etc. Ce qui manque dans les vues de la mairie, c’est une offre d’embarquement “grand public” à destination des visiteurs en saison comme à l’année, une marque ajoutant une note d’attractivité aux séjours “clés en main”. Problème Saint-Quay n’est pas Saint-Malo, les armateurs ne se bousculent pas. En 2014une société de charter a tenté sa chance avant de se retirer, faute de clients…

Ecole de croisière avec bateaux d’exception

Pourtant la solution n’est pas loin. Flash-back, à la veille des dernières élections municipale le Sport Nautique de Saint-Quay-Portrieux (SNSQP) est dans l’impasse. “Notre survie était en jeu” dit Éric Blanchot son président depuis janvier 2014.

En 2012, le club a perdu, au profit de la communauté de communes, sa ressource principale, la voile éducative La majorité de ses recettes. Le skipper François Coudray, directeur salarié, se fait du mauvais sang… Éric Blanchot, dentiste à Pordic dans le civil, interroge les candidats : “Vous ne voulez ou ne pouvez plus nous subventionner? Alors, clôturons les comptes et passons à autre chose”. Simultanément en phase avec François. Il avance l’idée de créer une nouvelle activité: une école de croisière agréée FFV. “Ça a été notre bouée”, dit-il aujourd’hui. Thierry Simelière la reprend et la soutient en allouant, une fois élu, une subvention “qui n’est pas .neutre”. Reste à composer la flotte. “Avec François on s’est dit qu’il nous fallait des supports originaux pour se démarquer des écoles classiques genre Glénans”, confie Éric Blanchot. Le vieux gréement, le Saint-Quay, ne pose pas de problème il vient d’être restauré grâce au partenariat de l’opérateur des éoliennes, Ailes Marines, avec les bénévoles du club. Pascal Quintin n’a pas de mal à être convaincu que son multi serait mieux sur l’eau qu’à terre. Jean-Claude Féru, patron du Gwen Mor (présenté dans Bateaux n°676), spécialisé dans les expéditions arctiques, a. justement décidé de faire une pause Il fournira le support pour des stages à la semaine vers la Cornouailles. Jean-Charles Royer propriétaire de Nausicaa, n’a pas d’objection. Son dériveur de 20 m pour 6 de largeur confort de catamaran avec vue panoramique, construit chez Pita en Espagne, est l’idéal pour croiser vers Bréhat. “Avec Nausicaa, ce sera .la balade des Calanques », s’enthousiasme François Coudray”. De son côté l’armateur est plus mesuré. “Je ne m’attends pas à gagner de l’argent, juste amortir partiellement les dépenses. Exploiter moi-même Nausicaa aurait impliqué de le déclarer comme Navire à utilisation commerciale (NUC) et d’engager un skipper pro», reconnaît-il. Dans le cadre de Sensation Nautique, les voiliers sont skippés par François Coudray, officiellement directeur de l’école, et Christophe Laugenre. Tous deux sont brevets d’Etat, capitaine 200 en cours de validation.

Vingt ans de voile “pour tous” à Saint-Quay

A bateaux d’exception soucis exceptionnels. La démarche de Saint-Quay et du club est vraiment novatrice. D’ailleurs elle n’entre pas dans le cadre prévu par l’assureur de la Fédération française de voile qui ne disposait pas de garantie concernant les unités de 20 m ou plus. “Il nous a fallu de longues tractations pour trouver une solution et pou­ voir fonctionner comme école de voile agréée”, explique Éric. Mais voilà, c’est parti, la saison est lancée. Le trac? Un peu confie Éric : “Là, on bénéficie d’un vrai soutien. La viabilité économique du concept reste à prouver et nous-nous sommes donnés trois ans. Pourra-t-on, nous club, assurer une offre nautique toute l’année sans soutien? La réponse n’est pas gagnée. En matière de tourisme, les Côtes-d’Armor ne sont pas réellement tournées vers la mer et la baie de Saint-Brieuc est connue surtout pour la coquille Saint-Jacques. Pour trouver une identité marine vraiment évidente et parlante pour le public, il faut monter vers Paimpol, c’est ma vision”, explique-t-il. Éric Blanchot n’a-t-il pas le sentiment d’entrer en concurrence déloyale avec les professionnels du charter? “Pas du tout car nous sommes école de voile, comme les Glénans. Nous proposons des stages avec participation des équipiers à la manœuvre, ce n’est pas du charter. Et puis la possibilité d’embarquer sur un trimaran de course, par exemple, reste rare…”. Enfin, l’esprit associatif fondateur du club peut-il cohabiter avec une démarche semi entrepreneuriale? “Nous restons une association à but non lucratif. Le concept général consistant à ouvrir la voile, la sortir de son “entre soi”, en rendant accessible à un public élargi des bateaux inaccessibles nous convient. En fait, nous le mettons en œuvre depuis notre création, à notre manière, une forme voile pour tous. Je sais, ça sonne populiste, mais l’idée se retrouve aussi dans Sensation Nautique. Il s’agit bien, au fond, d’initier des gens qui n’ont jamais été sur l’eau”.

Culture du match race et voile loisir

Le Sport nautique de Saint-Quay, a quelque chose de Janus à deux têtes. D’un côté, il est reconnu pour son savoir-faire en matière de match race féminin, discipline (injustement) confidentielle développée à Saint-Quay sous l’impulsion Laurent Brégeon, responsable du pôle espoir inshore des Côtes-d’Armor. En 2007, c’est ici que s’est tenu le championnat du monde féminin de la spécialité qui a sacré une sociétaire du club, Claire Leroy (championne du monde aussi en 2008). Dans la foulée, le match race féminin a bien failli avoir ici son pôle d’excellence. Il n’a pas vu le jour, la discipline ayant cessé d’être olympique après 2012… “A l’époque, se marre Michel Guillet, membre historique du club et ancien équipier de Yannick Dupetit sur le Tour de France victorieux en 1985, on s’est retrouvé cité au niveau de Stockholm ou New York. Ça allait dans le sens d’une image élitiste de Saint-Quay”. Une image fausse ou incomplète.

Un club, neuf brevets d’état bénévoles

Car de l’autre côté, sur l’autre face du Janus quinocéen, c’est l’opposé: la voile loisir “pour tous” dont parle Eric Blanchot. Le club en est même l’un des promoteurs reconnu. Michel lisse ses bacchantes blanches et raconte. “Vers 1992, un conseiller pédagogique passionné voulait que la voile devienne une matière enseignée à l’IUFM pour les futurs instits. Nous étions quatre ou cinq à faire naviguer bénévolement les stagiaires le samedi matin. Quand l’Académie a rejeté le projet, on a perduré en fusionnant avec Laurent Brégeon qui faisait de même de son côté. Aujourd’hui, on tourne à neuf brevets d’Etat bénévoles, membres du club, et les deux skippers salariés. A l’année, on embarque une centaine d’équipiers novices et on pourrait monter en puissance”. La voile loisir à Saint-Quay ne coûte que 250 € à l’année, licence comprise. Des cours : théorie, CRR ou secourisme sont dispensés gratuitement (entrée libre, sauf en juillet août). Aujourd’hui, sur 200 membres du club, la moitié soit une bonne centaine sont des adhérents “voile loisir”. Ils viennent de Rennes comme de Paris ou des Côtes-d’Armor. (Une dé marche qui a inspiré plus ou moins à la FFV un label « coaching plaisance » dont le SNSQP est, par ailleurs, pilote pour la Bretagne Nord). A’ Saint-Quay, les propriétaires qui jouent le jeu bénéficient de leur côté d’une ristourne portuaire sur le quota de places alloué au club, à condition de s’engager à participer à 18 sorties dans l’année. “On dit que la voile est fermée, mais il suffit d’entrouvrir et les gens viennent”, rebondit François Coudray. “Depuis que je suis arrivé, voilà 10-11 ans, je connais une vingtaine d’anciens adhérents de la voile loisir qui sont à leur tour devenus propriétaires et dont certains partagent”, témoigne-t-il. Quand on dit que tout le monde y gagne, le commerce aussi. Côté course au large, même si on l’oublie souvent, les cailloux et courants de la baie, particulièrement du côté de Bréhat, sont de remarquables formateurs. Thomas Rouxel, Vincent Biarnès, Pascal Conq et surtout les Eliès père et fils, Patrick et Yann qui brigue ces jours-ci une troisième victoire dans la Solitaire du Figaro: tous ont été leurs élèves. Il est vrai qu’ils ont de quoi faire peur, les cailloux et hauts fonds, au moins sur la carte.

“L’été dernier nous avons organisé une régate de Half Tonners autour de Bréhat. Avant le départ les Anglais nous ont traités de fous. “Vous voulez nous tuer ou quoi?”. A l’arrivée ils étaient ravis”, se souvient François dans un éclat de rire.

Hell’s Roch, vous pourrez dire “je l’ai fait”,

Sur ce principe le SNSQP lance un nouveau format de course, les 13 et 14 juin prochains, histoire de réveiller une activité régatière mourante entre trois bouées. Le parcours? Saint-Quay-Bréhat-Cap d’Erquy et retour vers Le Légué, soit une centaine de milles. “Ce sera un peu les 24 heures de la baie”, dit François. Le nom de l’épreuve: Hell’s Roch. A’ terre, il y aura un suivi en direct. Allez-y de notre part et vous pourrez dire: je l’ai fait! Innovation, prosélytisme, animation : Saint-Quay et son club auront tout fait pour prendre leur destin nautique en main. Un exemple à suivre.

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