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Un tourbillon de vie

Avec Charlotte, François, Thomas et moi même (Adrien), chaque repas ou réunion de famille était comme un film de Woody Allen, où tous les protagonistes s’interrompent, parlent les uns sur les autres, s’invectivent, font de l’esprit (enfin je crois), se disputent parfois, rigolent beaucoup.

Combien de fois avons-nous entendu Maman voler au secours des invités imprudents qui s’aventuraient à notre table. « Ne parlez-pas tous en même temps », « Parlez moins vite », « Finissez vos phrases », nous disait-elle.

Thomas ne dérogeait pas à la règle. A ce petit jeu il était peut-être le meilleur d’entre nous (ou le pire, c’est selon). Il était un vrai tourbillon. Un tourbillon de paroles, un tourbillon de gestes, un tourbillon de vie, un tourbillon d’amour, un tourbillon d’humour, un tourbillon d’humeurs, aussi.

Il y a quelques années, j’avais passé une soirée avec Thomas et une de mes proches amies qui le voyait pour la première fois. Avant même la fin de la soirée, elle m’avait dit, en rigolant : « Ah mon dieu, un seul Roques c’est déjà dur à suivre, mais là avec deux, je vois double, j’entends double, je ne comprends rien, vous êtes insupportables ». Cela m’avait empli de joie. Comme si je ne m’étais pas encore rendu compte, que malgré toutes nos différences, nous étions tous, tous les 4, si semblables, si proches.

Il y a deux semaines, passée l’effroyable nouvelle, nous nous sommes mis à pleurer en pensant à tous les échanges que nous avions eu chacun avec Thomas. S’ils n’étaient pas toujours réguliers, ils étaient toujours bourrés de références, de clins d’œil, de codes, d’humour, compris de nous seuls, et peu de mots suffisaient pour nous comprendre. J’ai pleuré en pensant à ces références que lui seul et moi connaissions, à tout ce que j’ai pu partager avec lui en exclusivité et que je ne pourrais plus jamais partager.

Puis, nous avons voulu voir les choses autrement. Tenter de faire émerger, au-dessus des pleurs et des peurs, le bonheur que nous avions eu de vivre cette complicité, plutôt que le malheur d’en constater la fin. La tâche sera difficile, et longue, mais j’aime penser que c’est Thomas qui nous donnera la force de la surmonter. Tous ces échanges, ces références personnelles, ces moments partagés, nous les avons vécus, plus personne ne pourra nous les enlever, plus rien ne pourra les abimer. Nous gardons ces instants ancrés en nous, intacts, cristallisés, ils y ont toute leur place, et nous comptons sur eux pour le restant de nos vies.

Ils ne sont pas idéalisés, embellis, faux, mais vrais, pleins, et nous voulons qu’ils nous rappellent Thomas comme il était tout entier, avec ses qualités mais aussi ses défauts. Un tourbillon, qui était tout à la fois. Quelqu’un à la fois d’attachant, de sensible, d’impatient, d’aimant, de désordonné, de poli, de rigolo, de spirituel, de gentil, d’inquiet, d’intelligent, de pas ponctuel, de beau, d’insaisissable, de libre, de vivant.

Adrien Roques

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